Le sentier des bornes

Présentation

Histoire de la frontière commune des Fourgs et de Sainte-Croix

Perché à plus de mille mètres d’altitude, le plateau des Fourgs et des Granges de Sainte-Croix ne connaît pas de frontière. Des deux côtés de la limite territoriale, la roche calcaire est présente, les forêts et les pâturages se côtoient avec la même harmonie, l’habitat témoigne des mêmes adaptations au climat rude… Pourtant, au fil des siècles, cette voie de passage convoitée, entre France et Suisse, a tout connu : conflits, invasions, traités…

Et si vous partiez à la rencontre de l’histoire rebondissante de cette frontière et des facettes d’un terroir lentement construit par l’homme à force de persévérance…

L’histoire du peuplement et de l’occupation du plateau des Fourgs

Sur les traces des voies antiques

Si aucun établissement de période gallo-romaine n'est connu à ce jour sur les hauteurs des Fourgs, il semble cependant probable que l'un des plus anciens passages entre la Gaule et l’Helvétie soit passé sur le plateau des Fourgs.
 
La Beuffarde serait-elle l'un des premiers foyers d'habitation du plateau des Fourgs ?

Une voie ancienne montait de Jougne aux Hôpitaux-Vieux, puis arrivait aux Fourgs par la Béridole et se poursuivait par les Granges-Berrard, le Gros Vitiau et Le Val de Travers. Une autre voie venait depuis Pontarlier et, par la Gauffre, arrivait aux Fourgs pour rejoindre la Suisse.

L’origine du peuplement

Durant le Moyen Âge, au contact des deux versants de la montagne jurassienne, le plateau des Fourgs a connu une double colonisation. L’une venant de l’ouest constituée « d’hommes romans » abergés par les sires Henri de Joux au XIIIe siècle au lieu-dit « les Fours de Gilmart » (le village actuel). L’autre venant de l’est, composée « d’homme allemans » dont l’introduction est favorisée à des conditions plus avantageuses par Jean de Blonay, sire de Joux, qui achève la colonisation du plateau des Fourgs en 1337. En 1368, la charte d’affranchissement de Vaucher de Vienne place les « hommes romans » et les « hommes allemans » sous un régime uniforme. Par la suite, d’autres communautés rejoindront le territoire des Fourgs : des « suess » dont on pense qu’ils étaient des Helvètes soit plutôt des Juifs et enfin des « savoyards » qui achèveront la colonisation du plateau.

Longtemps, les hommes ont utilisé le bois des forêts pour fabriquer du charbon. Tout le savoir-faire des charbonniers consistait à préparer le sol, y empiler savamment les rondins de hêtre autour d’une cheminée centrale et recouvrir le tout de terre fine débarrassée des racines et des cailloux.

Un défrichement par vagues

Au XIIe siècle, le plateau des Fourgs comptait deux principaux foyers d’habitation :
« Les Fourgs Gillemart » constituait le lieu du premier foyer d’habitation, lieu de croisement des voies antiques et dénommé « bourg-vieux » ou « bor-vis » dans le langage de l’époque. L’historien local Camille Aymonier semble avoir trouvé dans la racine « bor-vis » l’origine de l’appellation actuelle des habitants des Fourgs surnommés les « Bourris ». « Le Four Seigne-Viffard » qui deviendra par la suite la « Beuffarde »

L’existence de nombreux hameaux à côté du village des Fourgs est caractéristique d’un peuplement établi par défrichements successifs rayonnant à partir du point central situé dans le village actuel. Ce défrichement par vagues, initié par les « hommes romans » au XIIe siècle dans la partie nord du finage, puis suivi par les « hommes allemans » au XIIIe siècle, se fera selon la méthode dite en lanière en rayonnant à partir du « bor-vis » ou village actuel.
  • voies-ornieres-vuite-boeuf-suisse-eric-chambettaz-63400 - © Eric Chambettaz

La forêt et la fabrication de la poix

Mythe et valeur de la poix…

A la fin de la première croisade, vers l’an 1100 et jusque vers 1350, l’ambition de chaque seigneur fut de posséder une arme aussi destructrice que le Feu Grégeois qui avait terrorisé les croisés.

L’un de ses composants, la résine d’épicéa appelée également la « poix » ou « pège », devint un produit stratégique et essentiellement réservé à un usage guerrier. Son extraction existait dans toutes les régions boisées sous le contrôle et la surveillance des seigneurs et des monastères qui en avaient le monopole et en faisaient un objet d’impôt.

La forêt : première richesse et enjeu industrieux

A son origine, le plateau des Fourgs était entièrement boisé et l'une des premières industries connues par le biais d'archives, fut l'exploitation de la poix dite « de Bourgogne » pour le compte des sires de Joux. Sécrétée par les épicéas fraîchement incisés, fendillés et écorcés, la poix se durcit par l’action de l’air. Cette méthode de collecte appelée « poix gemmée ou poix blanche » ne donne qu’un faible rendement. La « poix noire » ou poix traitée provenait de l’action des fours à poix dont le processus de fabrication était le suivant : l’épicéa fraîchement abattu était débité en bûchettes. Ces bûchettes, placées sur une grande pierre plate et mince, appelée « lave », et sous laquelle était allumé un feu, dégageaient sous l’influence de la chaleur, la résine dont elles étaient imprégnées. La résine, coulant sur la pierre chauffée et placée en déclivité, était récupérée dans un trou creusé dans l’argile ; les bûchettes étant alors utilisées comme combustible.

L'épicéa et le sapin, accompagnés du hêtre, composent en majorité la forêt du plateau des Fourgs et des Granges de Sainte-Croix.

Le développement des fours à poix

Trois fours à poix ont existé sur le territoire de la commune des Fourgs et tous furent construits à proximité d’un point d’eau. C’est au lieu-dit « sur l’étang » ou « Gy-le-Mare », qui signifie « près de le mare », au centre du village actuel qu’apparut le premier four à poix dit « Four Gilmart » à l’initiative des sires Henri de Joux et dont les restes furent retrouvés vers 1930. Ce n’est qu’aux environs de 1685 que cessèrent définitivement l’extraction et le traitement de la poix. Le sanglier découpe dans l'écorce d'épicéa les sangles qui entourent les Mont d'Or, fromage au lait cru, et leur donnent leur goût si particulier.
  • sentier-des-bornes-paul-verniau-63397 - © Paul Verniau

La frontière : une lente mise en place

Le traité de 1319 entre Hugues de Chalon, seigneur d’Arlay, et Pierre de Grandson, seigneur de Belmont, constitue probablement l’un des plus anciens relatifs à la frontière franco-suisse. Celui-ci englobait toute la partie nord du Plateau des Granges de Sainte-Croix dans la seigneurie de Jougne.

Pendant plusieurs générations, Le Corbet et La Beuffarde furent des pâturages communs aux habitants des Fourgs et de Sainte-Croix. En 1552, un traité signé par Charles Quint et LL.EE. (Leurs Excellences) de Berne, accorde Le Corbet à la Châtellenie de Sainte-Croix et la Beuffarde aux Fourgs. La frontière est restée la même dans cette région du Corbet jusqu’à nos jours. Sur les bornes No 13 et No 16, on peut deviner l’année de 1553 gravée, en plus de 1824, date de la dernière révision de la frontière entre la France et le Canton de Vaud.

Dès 1648, des inspections de frontières furent organisées afin de décrire et de localiser précisément chaque borne frontière. La règle voulait que des hommes de deux générations soient présents : les plus vieux pour désigner les bornes et attester qu’ils les avaient toujours vues là, les plus jeunes pour acquérir cette connaissance. Ainsi se transmettait le savoir.

En 1752, introduction de la numérotation des bornes comme elle existe encore actuellement. Au cours du temps, certaines bornes abîmées ou cassées seront changées, ce qui est le cas pour la No 15, remplacée en 1866 sous le gouvernement de Napoléon III.

Deux bornes importantes

La borne No 13 a marqué pendant longtemps la limite entre les Seigneuries de Jougne et de Joux. La frontière commune entre les territoires des Fourgs et de Sainte-Croix part de Vitiau, borne No 1, jusqu’à cette borne No 13. Actuellement, côté français, elle limite les Communes des Fourgs et des Hôpitaux-Vieux.

La borne No 16, qui se situe hors itinéraire (longer le mur frontière en direction du sud sur 1,100km puis revenir sur vos pas pour récupérer le circuit), limite également, côté suisse, les Communes de Baulmes et Sainte-Croix. Elle est déjà mentionnée dans un traité de 1415, entre le Prieuré de Baulmes dépendant de l’ordre de Cluny, et la Seigneurie de Jougne appartenant à la maison de Châlon. Cette borne fut martelée et regravée à de très nombreuses reprises au gré des changements du gouvernement de part et d’autre de la frontière.
  • borne-5-marc-declein-63393 - © Marc Declein

Les mines de fer

L’exploitation des mines de fer

Automne 2010, effondrement de l’entrée d’un puits de mine dans la région de L’Auberson.

De nombreuses mines de fer furent exploitées sur le plateau des Granges de Sainte-Croix dès la fin du XVe et certainement déjà à une époque antérieure. On creusait des puits parfois jusqu’à 18 mètres de profondeur d’où partaient des galeries pour en extraire le minerai. D'ailleurs, l'effondrement récent d'un de ces puits dans la région de L'Auberson (lieu-dit « Sur les Mines »), a permis d'en observer son boisage et son aménagement partiel ; on peut aussi voir des traces d’extraction dans le secteur des Araignys. Le minerai était transporté principalement en hiver vers les hauts fourneaux, soit à la Mouille Mougnon, à Noirveaux ou encore à la Dénériaz et même à la Jougnena au pied des Aiguilles de Baulmes ; ces hauts fourneaux n’ont pas tous fonctionné en même temps. Certaines forges étaient établies près des hauts fourneaux et fabriquaient des plaques de cheminées, des socs de charrues, des outils, des clous, des boulets, etc. Le territoire forestier avoisinant fournissait le charbon de bois nécessaire au fonctionnement de cette industrie. Par la suite les autorités de l’époque promulguèrent des lois afin de protéger les forêts car elles étaient pratiquement ruinées.

En 1572 les forges de la région fournirent à la ville de Genève et en quinze jours 30 000 boulets de canon. L'activité devait être intense sur le plateau !

En juillet 1811, le dernier haut fourneau encore en fonction, celui de Noirvaux, fut emporté par une trombe d'eau. Il ne fut pas reconstruit.
  • clou-severineroch-63391 - © Severine Roch

Les paysans industrieux

Une agriculture à vocation laitière

Dans cette région de moyenne montagne, la production agricole est limitée par des contraintes climatiques difficiles (températures fraîches, hivers longs et enneigés…), qui réduisent les possibilités de culture. Depuis longtemps, les paysans se sont spécialisés dans la production laitière, comme en témoignent les paysages qui vous entourent. Le lait est la base de la fabrication de fromages tels le Gruyère et le Comté. On peut encore voir dans la région de nombreuses fermes dites jurassiennes avec leurs grands toits à deux pans prévus pour récolter un maximum d’eau dans les citernes, eau nécessaire aux hommes et aux bêtes. Les hivers longs et rigoureux et les étés secs, pouvaient créer de gros problèmes pour les habitants.

Les pré-bois : un équilibre fragile

Cette zone de transition, entre la forêt et les prairies, porte le nom de pré-bois. Plusieurs siècles de pratiques pastorales ont produit et conservé ce milieu typique de la montagne jurassienne à l’attrait paysager et écologique remarquable. Le pâturage y est parsemé d’épicéas. Sous ses arbres à branchage dense, les vaches trouvent un abri fort utile contre le soleil ou les pluies battantes. De nombreuses plantes, comme la gentiane jaune ou les orchidées, y trouvent également les conditions de croissance optimales. Aujourd’hui cette zone de pré-bois est protégée.

Les paysans-ouvriers

L’industrie de la boîte à musique se développa dans la région à partir de 1811. Cette activité trouva à Sainte-Croix les conditions nécessaires à son essor : de longs hivers limitant l’activité agricole et une population industrieuse et qualifiée. Ainsi naquirent les paysans ouvriers, artisans de la boîte à musique. C’est entre 1876 et 1896 que cette industrie atteignit son apogée, ainsi qu’une réputation internationale répercutée au travers de nombreuses expositions dans le monde entier. Aujourd’hui Sainte-Croix est reconnue capitale mondiale de la boite à musique. Le musée Baud à l’Auberson présente de beaux exemples de musiques mécaniques anciennes et le Centre international de la musique d’art, CIMA à Sainte-Croix, en retrace l’histoire.

L'industrie de la boîte à musique a marqué de son empreinte jusqu'aux bâtiments de la région. Les fenêtres jumelles, facilement reconnaissables, permettaient à l'artisan assis à son établi d'avoir suffisamment de lumière pour effectuer un travail irréprochable.
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Le plateau des Granges de Sainte-Croix

Le plateau des Granges de Sainte-Croix

Sur ce plateau calcaire, l’eau, en s’infiltrant, érode lentement la roche en la dissolvant. Par endroits les dolines, ces dépressions en forme d’entonnoir, témoignent de ce phénomène. Ailleurs sur les terrains rendus imperméables par d’anciens dépôts glaciaires, l’eau stagne et constitue les mouilles, ces tourbières typiques dans la région. Durant le XIIe siècle les habitants de la région de Sainte-Croix, trop à l’étroit dans le vallon, défrichent progressivement ce plateau et construisent des granges, où ils passent l’été avec leur bétail.

Un passé industriel fort

Le ruisseau de la Noiraigue, qui prend sa source dans la « Mouille au Sayet » à quelques centaines de mètres d’ici, a vu s’établir le long de son cours plusieurs moulins et scieries. Deux hauts fourneaux y ont fonctionné plus à l’est, à la Mouille-Mougnon et à Noirveaux près de la frontière neuchâteloise. Un troisième haut fourneau était également situé à La Dénériaz, sur un affluent de La Noiraigue. Comme mentionné en p. 13, de nombreuses mines de fer furent donc exploitées jusqu’au début du XIXe siècle. Elles approvisionnaient les hauts fourneaux en minerai jusque dans la région de la Jougnena, au pied des Aiguilles-de-Baulmes. Vers 1750, une nouvelle activité naquit à Sainte-Croix, introduite en Suisse par les réfugiés protestants après la révocation de l’Edit de Nantes : la fabrication de la dentelle. Celle-ci fit vivre toute une population développant chez elle le goût du beau travail artisanal. Petit à petit, cette industrie déclinante, elle fut remplacée par la fabrication des boîtes à musique.

La grande route de la Bourgogne

Près d’ici passait la grande route de la Bourgogne, une voie commerciale venant de France. Empruntée jusque vers 1650, elle servait principalement au transport de sel, produit à Salins et qui alimentait le plateau suisse. A cette époque le sel était une marchandise très précieuse, indispensable à la conservation des viandes notamment. Ce tracé passait au pied du Franc Castel, reconstruit au XIVe siècle tout près du hameau de la Chaux.

De cette forteresse, Les Bourguignons surveillaient le passage d’Entre Roches en contre bas où un péage était prélevé. Il appartenait à la maison de Châlon lorsqu’il fut détruit par les Bernois avec l’aide des Sainte-Crix en 1536. Il ne fut jamais reconstruit. Dans la côte de Vuiteboeuf à Sainte-Croix plusieurs tronçons de cet ancien axe de communication sont encore bien visibles. Quantités d’ornières ont été creusées dans la roche aussi bien par les chars que par les hommes pour éviter aux roues de déraper et aux attelages de basculer dans le vide. Pour en savoir plus au sujet de ces tracés, cinq panneaux didactiques sont à découvrir le long de ces cheminements.
  • croix-de-la-coupe-marc-declein-63392 - © Marc Declein

Le marais de la Vraconnaz

Un site d’importance nationale

La mouille de la Vraconnaz constitue un bel exemple de complexe humide d’altitude où se mêlent les tourbières hautes et les zones de bas-marais. Propriété de la Ligue suisse pour la protection de la nature, elle est devenue réserve naturelle. Ce milieu aux ambiances « nordiques » abrite un grand nombre d’espèces végétales rares, dont certaines croissent habituellement dans les régions arctiques. Les mousses sont particulièrement bien représentées avec près de 154 espèces. Devant vous, ne manquez pas de repérer le pin à crochets, espèce typique des tourbières hautes en voie d’assèchement, qui colonise progressivement le site. Près du sol, la callune ou fausse bruyère forme de petites buttes. En août, sa floraison couvre la tourbière d’un tapis rose. Ce milieu protégé est fragile, ne vous y aventurez pas !

Le charbon du pauvre

Toute une partie de la tourbière fut exploitée activement au cours des XVIIIe et XIXe siècles. A cette époque, le bois de chauffage manquait dans les villages. L’utilisation du charbon ralentit cette exploitation qui reprit entre 1914 et 1918 puis entre 1940 et 1945, et sporadiquement jusque dans les années 1960. Extraire les mottes à brûler était un travail relativement facile. Vers fin mai, à l’aide d’une pelle spéciale, le louchet, des briquettes d’environ 22 cm de long sur 12 cm de large étaient découpées, puis transportées sur une brouette, la barou, vers l’aire de séchage. Là, elles étaient disposées sur la tranche et séchaient pendant deux ou trois mois. Ensuite elles étaient empilées sous forme de petites pyramides, des lanternes (en France) ou châtelets (en Suisse). A l’automne, elles pouvaient brûler dans les poêles, dégageant cette odeur âcre si caractéristique.

Borne cantonale No 5, dite de la « pierre fendue », située entre Le Vitiau et le sommet des Frâches.

Un paysage bouleversé

Le 26 septembre 1987, un étrange et puissant glissement de terrain s’est produit sur la Mouille de la Vraconnaz. Dès la veille, des trombes d’eau s’étaient abattues sur la région. Ce samedi 26 septembre au matin, la masse de tourbe commença à se détacher de sa base, en amont, et, par milliers de tonnes à glisser dans la pente pourtant faible. D’après les scientifiques, l’écroulement naturel de la tourbière n’a pas suffi à absorber les pluies diluviennes tombées en si peu de temps. Un coussin d’eau s’est ainsi formé progressivement entre la masse de la tourbe de quatre à cinq mètres d’épaisseur et la couche de marne imperméable et glissante. Vu la pente, la tourbe gorgée d’eau s’est alors détachée et à glisser jusqu’à la colline qui l’a arrêtée en contre-bas. Dès lors, la végétation a progressivement repris ses droits sur la tourbière, effaçant peu à peu les traces de cet accident naturel. D’ici, on voit le village de La Vraconnaz, le massif du Chasseron avec le Cochet et les Petites Roches. Le sommet des Fâches, au nord de la Vraconnaz fait limite entre les cantons de Neuchâtel et Vaud.
  • haut-doubs-fleurs-tourbiere-mouthe-elisabethcontejean-63401 - © Elisabeth Contejean

Les trois pierres du Vitiau

Borne internationale No 182 entre le canton de Neuchâtel et la France, et borne No 1 (grande borne) entre le canton de Vaud et la France.

Querelles et zizanies entre les Fourgs et Sainte-Croix

Le peuplement forestier dense et étendu fut également une des causes de la difficulté à déterminer les limites des communautés, ce qui, au cours des siècles, engendra de continuelles querelles. La justice intervint souvent entre habitants des Fourgs et de Sainte-Croix au sujet des coupes de bois et des pâturages. En 1414, un traité marqua le début de la réduction du territoire des Fourgs qui comprenait, à l’est de la Vraconnaz, le Corbet et la Limasse, au profit des Suisses avec lesquelles l’archiduchesse Marguerite conclut un traité en 1524 pour s’assurer leur neutralité en leur accordant les territoires « usurpés ». En 1552, la délimitation des territoires fut approuvée entre Berne et la Bourgogne et un nouvel accord conclu entre les Fourgs et Sainte-Croix, pour qu’aucun bois ne soit coupé au Vitiau. Avec la Côte-aux-Fées, et le canton de Neuchâtel, les démêlés durèrent jusqu’en 1767. Les Neuchâtelois, considérant le secteur du Vitiau comme leur propriété, frappaient de fortes contributions les habitants, lesquels déplaçaient les bornes frontières frauduleusement. Au final, les Suisses rentrèrent en possession de 108 hectares dont la France jouissait auparavant.

Le site des Trois Pierres du Vitiau (situé à environ 400m à l’ouest dans la combe) fut dès les temps anciens un point de conflits et de négociations. Il se situait en effet à la croisée du canton de Neuchâtel, de la Savoie et de Bourgogne et l’emplacement de la borne frontière de ce site fut longtemps contesté. Après maintes querelles, la frontière est redéfinie, coupant en deux le « séquestre du Vitiau » (appelé « soquêtre » en Suisse) et plaçant la nouvelle borne frontière No 1 à mi-distance entre les Trois Pierres et l’ancienne borne frontière. De ce fait en 1648, le site des Trois Pierres passa définitivement en territoire comtois.
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Petits conflits frontaliers entre France et Suisse

La sécession des Fourgs

Mécontents des outrages que leur faisaient subir les officiers de Bourgogne et protestant contre un décret de leur suzeraine l’archiduchesse Marguerite d’Autriche, les habitants des Fourgs et des Verrières signèrent en 1510 un traité dans lequel ils devinrent sujets des sires de Neuchâtel. Ce fait étant considéré comme crime de lèse-majesté, dont les suites pouvaient devenir graves, une instance se réunit et, finalement, la commune des Fourgs prêta de nouveau serment de fidélité à ses souverains de Bourgogne. L’archiduchesse leur délivra alors des lettres d’abolition (1512) par lesquelles la rémission leur fut accordée, les franchises et privilèges des habitants renouvelés et les poursuites abandonnées.

Une convention, passée en 1762, entre Les Fourgs et Sainte-Croix, instaura la construction d’un mur en pierres pour séparer les troupeaux et matérialiser la délimitation des territoires respectifs. Les gens des Fourgs ne voulurent pas participer à sa construction d’une façon ou d’une autre et, malgré les menaces des gouvernements français et suisse, la commune de Sainte-Croix, de guerre lasse, assuma seule le chantier.

Accidents et faits divers frontaliers

Au-delà des conflits forestiers et de terrain, les relations entre voisins furent également empreintes de tracasseries. Avec la réforme luthérienne, dès 1520, une partie des cantons suisses, dont celui de Berne, s’éloigne de l’Eglise catholique romaine. C’est sur les terres du Vitiau vers la Joux Verte que les habitants des Fourgs, restés fervents catholiques, arrêtèrent la troupe des prêcheurs protestants partie de Sainte-Croix et venue pour tenter de convertir la région à la nouvelle religion.

Noms et appellations sur le plateau des Fourgs

Le seul territoire de la commune des Fourgs recense aujourd’hui plus de 150 lieux-dits qui sont autant d’éléments et de facteurs qui nous permettent de comprendre l’histoire et la culture locale à travers les noms de lieux dont les origines sont tirées de multiples usages du territoire.

Les noms indiquant une famille

  • D’une famille propriétaire du lieu : Granges-Berrard, Creux Fuchard, Pré Gonty, Bois Jean Guillemin, Crêt Grisard, Combes Maudry, à la Girarde, Combette à la Françoise…
  • D’un écart ou de la proximité du lieu-dit : Au champ chez Coutet, Derrière chez les Baud, Vers les Bulle et la Girarde, Sous les prés Caboz, Devant la Grange Colin…

Les noms tirant leurs origines de l’environnement et de son utilisation

  • Du relief : Creux des Pierres, Sur la Roche, Aux Murets, Aux Crêts, Aux Seignes, Aux Gros Buissons…
  • De l’activité humaine ou de la présence animale : Aux Fourneaux (four à charbon), A la Pioche (terre labourable), Le Pâquier aux Veaux (pâturage des veaux), Grange du Four (four à chaux), Aux Renardières (lieu fréquenté par des renards), Pré à l’Agace (lieu fréquenté par des pies)…

Les noms issus du patois et souvent maladroitement francisés

Sur la Drezette (du patois « draisse » : barrière), Aux Grammont (du patois « gromon » qui signifie chien-dent) Ez chezelet (vers le petit chazal), … Malheureusement, certains noms de lieux restent encore un mystère et il apparaît difficile d’en éclaircir l’origine : Les Buclés, le Fargan, Au Rafour, A la Tabenne, Aux Equoitiez, …

Orchis militaris, plante autrefois utilisée pour soigner les maux d’intestins chez les enfants, elle fleurit de mai à juin.

A partir du mois d’avril, quelques espèces à floraison vernale, comme l’anémone des bois et la primevère élevée, se développent au pied des arbres de la haie ou en lisière forestière.
  • la-coupe-ou-haute-joux-marc-declein-63395 - © Marc Declein

Guerres et conflits entre France et Suisse

Les ravages des Suédois en 1639

Avec la guerre de Trente Ans (1618-1648), c’est une épouvante qui s’abattit sur la Franche-Comté. Les troupes de Saxe-Weimar, ramassis de Suédois, de Français, de Bourguignons et de Suisses, pillèrent, brûlèrent, massacrèrent et dévastèrent la région en 1639. Le village des Fourgs eut beaucoup à souffrir et les habitants durent se réfugier dans les hameaux et les localités du voisinage, une partie de la population émigrant vers la Savoie.

Les invasions de 1813 et 1815

Si les guerriers de la révolution et du Premier Empire épargnèrent la région, le 30 décembre 1813 vit l’arrivée de centaines de cavaliers russes de l’armée de Schwarzenberg qui, venant depuis Neuchâtel par Les Verrières, occupèrent le village des Fourgs. Le coût financier de l’occupation fut très lourd pour la commune et ces cosaques couverts de parasites laissèrent un souvenir cuisant pendant de nombreuses années. La fin des Cent-Jours vit une nouvelle occupation, mais de plus courte durée. De maigres troupes napoléoniennes, détachées du fort de Joux pour couvrir la frontière, vinrent se poster sur le monticule devant lequel est construite aujourd’hui la douane Suisse. Depuis ce point, ils virent se déployer les bataillons suisses sur le plateau de l’Auberson, ce qui déclencha quelques fusillades sans victime. Le lendemain, des troupes suisses, des Schaffhousois, entrèrent aux Fourgs tambours battants et étendards déployés.

Les troupes françaises du Général Bourbaki en déroute se réfugient en Suisse en empruntant les passages par Les Verrières et Les Fourgs.

Fausse alerte en 1917

Craignant un débordement du front par les troupes allemandes arrivant du sud en passant par la Suisse, l’Etat-Major de l’armée française fit renforcer la défense et la protection de la frontière en installant deux postes, l’un à la Haute Joux, l’autre aux Granges-Berrard. Il n’y eut pas d’invasion et seuls des soldats canadiens s’en vinrent utiliser le bois des forêts des Fourgs pour la fabrication d’avions de combat.

La seconde guerre mondiale

A nouveau préoccupé par une possible attaque-surprise de l’armée allemande par la Suisse, le Grand Quartier Général de l’armée française déploya aux Fourgs une importante couverture militaire qui compta plus de 4000 hommes en mars 1940. Durant l’hiver 1940, ces troupes réalisèrent une ligne de défense inspectée par le Généralissime Gamelin, mais qui resta sans utilité : immense tranchée antichar depuis le Grand-Bois jusqu’aux Placettes, casemates et blockhaus, réseaux de barbelés et obstacles d’arbres abattus. Ces troupes, au comportement laissant à désirer, rejoignirent le front au nord en mai 1940. Le 17 juin, avec l’entrée de la Wehrmacht à Pontarlier et l’attaque des forts du Larmont et de Joux, commença l’exode de 500 habitants des Fourgs vers la Suisse, à l’Auberson.

Revenue le 19 juin, la population connut l’occupation allemande jusqu’au 5 septembre 1944, date de l’arrivée des troupes Franco-Américaines de la libération. Entre-temps, le territoire des Fourgs vit l’installation d’un camp de prisonniers de guerre français, l’accueil de familles de réfugiés, quelques alertes aériennes et l’action des réseaux de résistants agissant entre France et Suisse.

La tranchée creusée en 1940 par l’armée française est encore visible par endroits sur le territoire des Fourgs. Cette bande de terrain, laissée à l’abandon, se boise progressivement.
  • la-beuffarde-ludivine-epailly-63394 - © Ludivine Epailly